Aboudia, artiste ivoirien - « Je ne suis pas choqué d'être un best-seller ». - BBC News Afrique (2024)

En septembre dernier, les experts en art du monde entier ont été surpris par le nom de l'artiste qui figurait en tête d'une nouvelle liste des artistes les plus vendus au monde.

Aboudia, un artiste ivoirien qui s'inspire des graffitis, avait battu des noms connus comme Damien Hirst et Banksy pour vendre le plus grand nombre d'œuvres aux enchères l'année précédente.

Selon le Hiscox Artist Top 100, Aboudia, de son vrai nom Abdoulaye Diarrassouba, avait vendu 75 lots. L'une de ces toiles a été vendue pour 504 000 livres sterling (640 000 dollars).

La principale place de marché en ligne, Artsy, a qualifié le triomphe d'Aboudia de « frappant », tandis que The Guardian a déclaré que les experts du marché avaient été « aveuglés » par le classem*nt.

Des mois plus tard, assis dans une galerie londonienne tapissée de ses peintures, Aboudia me dit que les résultats de l'enquête n'ont pas été une surprise pour lui.

« Si vous travaillez dur, le succès viendra », dit-il, entièrement vêtu de noir, à l'exception de bracelets en perles.

« La première chose, c'est le travail... après, tout vient à la maison.»

La sérénité d'Aboudia contraste avec l'art qui l'entoure - ses toiles aux couleurs vives et aux couches épaisses présentent une série de personnages caricaturaux tirés des rues d'Abidjan, la plus grande ville de Côte d'Ivoire.

À l'aide d'un mélange de bâtons d'huile, de peintures acryliques et de matériaux recyclés tels que des journaux, Aboudia dépeint les difficultés de la vie dans le centre-ville d'Abidjan. Il s'intéresse particulièrement aux enfants qui vivent et travaillent dans les rues de la ville.

Ses portraits de témoins oculaires de la guerre civile de 2011 en Côte d'Ivoire sont tout aussi saisissants. Les personnages regardent le spectateur avec des yeux vides, tandis que les soldats armés et les crânes augmentent l'intensité.

Aboudia affirme qu'aujourd'hui, on pense à tort que son ascension au sommet s'est faite « rapidement ».

« Non, j'ai travaillé 15 ou 10 ans pour cela.»

Aboudia est né en 1983 à Abengourou, une petite ville située à environ 200 km d'Abidjan. Dans un essai publié en 2012, l'artiste raconte qu'il a été chassé de chez lui à l'âge de 15 ans après avoir dit à son père qu'il voulait peindre pour gagner sa vie.

Après avoir été mis à la porte, le jeune Aboudia a continué à travailler et s'est inscrit dans une école d'art. Faute de soutien financier, il dormait dans sa salle de classe après que les autres étudiants soient rentrés chez eux pour la journée. Ces nuits inconfortables ont porté leurs fruits : après avoir obtenu son diplôme en 2003, la future star a été acceptée dans la principale école d'art de Côte d'Ivoire, l'École des Beaux-Arts.

L'École des Beaux-Arts d'Abidjan a permis à Aboudia de découvrir les icônes de l'art ivoirien dont l'influence se retrouve dans son travail actuel. Par exemple, l'attention qu'Aboudia porte à son environnement direct et son utilisation de matériaux recyclés remontent à Vohou Vohou, un collectif moderniste créé dans les années 1970 par des artistes tels que Youssouf Bath, Yacouba Touré et Kra N'Guessan.

Aboudia a commencé à s'éloigner des styles d'art traditionnels, utilisant plutôt des coups de pinceau sauvages et des couleurs terreuses pour recréer les graffitis produits par les enfants défavorisés d'Abidjan.

Selon Aboudia, ces jeunes artistes de rue de facto « dessinent leurs rêves sur le monde ».

Ce sont les enfants qui l'influencent le plus, dit-il, et non le célèbre graffeur américain devenu peintre, auquel son travail est souvent comparé.

« Lorsque j'ai commencé à travailler, je ne connaissais pas [Jean-Michel] Basquiat », explique Aboudia.

Ce n'était pas du genre : « Il y a un Basquiat, il y a un Picasso » : Il y a une personne qui s'appelle Basquiat, il y a une personne qui s'appelle Picasso » parce qu'il n'y avait pas d'Internet à l'école et qu'on ne parlait pas de ces artistes.

Après avoir établi son style, Aboudia trimballait ses peintures dans les galeries du centre d'Abidjan, dans l'espoir de se faire connaître.

C'était très difficile... On me disait : « Tu es fou ? Qu'est-ce que c'est que ce travail ? Tu ferais mieux d'aller à Londres, aux États-Unis ou à Paris, parce que ce travail... ici, ça n'a pas de sens« », se souvient Aboudia.

L'adversité ne s'est pas arrêtée là. En 2010, Laurent Gbagbo, alors président de la Côte d'Ivoire, a refusé de démissionner après avoir perdu les élections face à son rival Alassane Ouattara. Une guerre civile a éclaté, tuant 3 000 personnes et forçant 500 000 autres à quitter leur foyer.

Pendant les quatre mois qu'a duré le conflit, Aboudia s'est réfugié dans son studio en sous-sol, documentant les horreurs qu'il voyait lorsqu'il s'aventurait au-dessus du sol.

La guerre s'est terminée par la capture spectaculaire de M. Gbagbo par les troupes soutenues par l'ONU et la France - et Aboudia est sorti de son refuge avec 21 peintures déconcertantes.

Les amateurs d'art et les journalistes de Côte d'Ivoire et d'ailleurs ont salué son travail et l'ascension d'Aboudia vers le succès mondial a commencé.

Charles Saatchi et Jean Pigozzi, collectionneurs d'art renommés, le soutiennent et exposent ses œuvres dans des lieux prestigieux tels que Christie's New York et la Biennale de Venise.

La première exposition personnelle d'Aboudia a eu lieu dans le cadre de cet entretien, à la galerie londonienne Larkin Durey (qui s'appelait alors Jack Bell).

Le propriétaire Oliver Durey, qui connaît Aboudia depuis plus de dix ans, explique à la BBC : « Il y a quelque chose à quoi nous pouvons tous nous identifier dans ses peintures ; cachés au milieu de l'incertitude et de l'horreur, il y a des moments équilibrés de force et de beauté ».

Henrika Amoafo, spécialiste de l'art africain, estime que l'art d'Aboudia « correspond en quelque sorte à l'idée internationale selon laquelle l'Afrique représente la guerre » et d'autres formes de conflit.

Il y a cependant d'autres raisons à son succès, comme son « authenticité, la puissance émotionnelle vraiment brute qu'il est capable de transmettre, la façon dont il parle de la vie urbaine, la façon dont il parle des conflits et de leur impact sur les enfants », déclare Mme Amoafo, directrice de la galerie d'art contemporain ADA au Ghana.

L'ascension d'Aboudia coïncide également avec celle du marché de l'art africain. En 2021, le cabinet d'analyse ArtTactic a rapporté que la valeur des ventes aux enchères d'art africain contemporain et moderne a augmenté de 44 % pour atteindre le chiffre record de 72,4 millions de dollars (56,9 millions de livres sterling).

ArtTactic a également constaté qu'alors que le marché mondial de l'art a baissé de 18 % l'année dernière, celui de l'Afrique n'a diminué que de 8,4 %.

Dans son évaluation du secteur pour 2024, Hiscox n'a pas inclus de classem*nt des artistes les plus vendus en fonction du volume de toutes les œuvres d'art vendues, comme elle l'avait fait en 2023.

Cependant, elle a désigné Aboudia comme le sixième artiste le plus performant en ce qui concerne les œuvres vendues pour moins de 50 000 dollars (39 300 livres sterling).

L'ascension d'Aboudia l'a amené à partager son temps entre son pays natal et New York. Lorsqu'il est de retour en Côte d'Ivoire, il consacre ses efforts à la Fondation Aboudia, une organisation qu'il a lancée pour soutenir les enfants et les jeunes artistes du pays.

Mais quand je lui demande s'il a des projets pour sa carrière, il répond sans détour : « Non, je n'ai pas de projet : « Non, je n'en ai pas ».

Quand je le presse, il dit qu'il prend les choses au jour le jour - peut-être un antidote apaisant à plus d'une décennie de ténacité.